UNE ERREUR JUDICIAIRE - Contes pour Monique et Pierre - N° 45

UNE ERREUR JUDICIAIRE

 365 contes de gourmandises - p. 27 février

La Bouteille passait en jugement. Accusée d’ivresse sur la voie publique.

Le Tire-Bouchon était le juge, le Verre et la Coupe témoins de l’accusation. Leur déposition fut accablante. Non seulement, disaient-ils, la Bouteille se gorge d’alcool, mais elle les pousse à en faire autant. Et circonstance très aggravante : le Verre avait amené son fils le Petit-Verre et accusa la Bouteille d’inciter les mineurs à l’alcoolisme.

La cause semblait entendue et le juge allait prononcer une sévère condamnation assortie de commentaires bien sentis, quand, à la surprise générale, la Carafe, avocate de l’accusée, fit citer un témoin de la défense tout à fait inattendu.

Et l’on vit se présenter le Tétine. Sous la foi du serment, elle déclara que la Bouteille était totalement innocente. L’accusation était fausse de bout en bout, la Bouteille ignorait jusqu’à l’odeur d’alcool. Car – et ce fut un formidable effet de surprise – il ne s’agissait pas d’un quelconque Litre à gros rouge, mais d’un très honnête et respectable Biberon. La Tétine pouvait en témoigner, puisqu’ils travaillaient ensemble depuis un bon bout de temps.

La déclaration fit sensation comme on l’imagine. La Bouteille, triomphalement acquittée, reçut les hommages de la Ligue antialcoolique et les accusateurs se sentirent quelque peu embarrassés.

C’est le Tire-Bouchon qui arrangea les choses (il sait se tirer de n’importe quelle situation) en proposant d’aller fêter l’acquittement chez son vieux copain le Tonneau.

La soirée fut des plus réussies, très gaie et bon enfant. Le Verre et la Coupe n’arrêtaient pas de trinquer avec la Bouteille si bien que celle-ci, par manque d’habitude, finit par être pleine jusqu’au goulot.

Et chacun se félicitait d’avoir évité de justesse une lamentable erreur judiciaire en condamnant pour ivrognerie une pauvre Bouteille totalement innocente.

D’après Félix Krivine, écrivain et humoriste soviétique

Felix Davidovich Krivine est né à Marioupol (ville portuaire et industrielle d’Ukraine) en 1928. En 1951, il est diplômé de Kiev de l’institut pédagogique, a travaillé comme professeur à Marioupol. En 1955, a déménagé à Uzhgorod (ville d’Ukraine) et a commencé à travailler pour un éditeur de Transcarpathie régional de la maison d’édition. En 1998, a immigré en Israël.

Ses œuvres sont sortis depuis les années 1960 dans les différentes maisons d’édition. Felix Krivine a également écrit des intermèdes pour Arcadia Райкина.

En 2006, Felix Krivine est devenu lauréat indépendant «Russe award» de la Russie subcarpatique. Mort en décembre 2016.

A ne pas confondre

- avec le chef d’orchestre français Emmanuel Krivine né en 1947,

- ni avec Alain Krivine, son cousin, homme politique d’extrême-gauche (parti communiste révolutionnaire), né à Paris en 1941.