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Le blog d'Hélène Loup
20 mai 2020

LA SORCIERE AU NEZ DE FER - Conte traditionnel hongrois - raconté mercredi 20 mai 2020 sur facebook - adaptation

 LA  SORCIERE  AU  NEZ  DE  FER

H.L.

 Autrefois, le diable vivait sur terre avec sa sorcière de mère. Et tout le monde pouvait le voir. Mais aujourd’hui, on ne peut même plus apercevoir l’ombre du bout d’un poil de sa queue. Il reste bien caché au fond de son enfer. Il ne s’est toujours pas remis du traumatisme éprouvé lors de sa rencontre avec le bûcheron hongrois.

 Ce bûcheron vivait il y a longtemps, très longtemps, quelque part en Hongrie. Et comme tous les bûcherons, il était très pauvre. Comble de malheur, il avait une kyrielle d’enfants. Sa femme en était morte d’épuisement. Il en avait tant qu’il ne pouvait plus les compter. Il en avait plus que de trous dans une passoire. Or il ne gagnait que de quoi en nourrir deux ou trois. Et encore, les bons jours, les jours où il y avait du travail ! Aussi tous les matins, tous les midis et tous les soirs, ses enfants lui disaient :

  • Papa on a faim ! Papa, on veut du pain ! Papa, donne-nous à manger ! 

A entendre leurs voix lamentables matin, midi et soir, et parfois même la nuit, à voir leurs yeux trop grands, leurs joues trop creuses, leurs bras trop maigres, le bûcheron en eut assez. Un jour, il se leva, il prit sa hache –il ne faut pas oublier l’instrument de travail- et il dit :

  • Mes enfants, je pars. Je ne reviendrai qu’avec de quoi vous rassasier tous.

Et il partit. Il mit, comme on dit, le chemin sous ses pas, le ciel sur sa tête, et il marcha. 

Marche que je te marche, à force de marcher, on fait du chemin,

Mais on ne trouve pas forcément à manger.

Marche que je te marche, à force de marcher, on fait du chemin,

On ne trouve pas forcément à manger, mais on arrive en pays étranger.

Marche que je te marche, à force de marcher on fait du chemin,

On ne trouve toujours pas à manger et on est fatigué. 

Le bûcheron s’effondra sur l’herbe, épuisé, désespéré. Il n’attendait plus que la mort.

Quand, regardant machinalement devant lui, il aperçut, entre les troncs des arbres, ce que les feuilles lui avaient caché lorsqu’il était debout : un éclat de soleil sur un carreau. Cela lui donna le courage de se relever et de repartir. Il arriva devant une jolie chaumière proprette et bien entretenue. Il en fit le tour. Pas de grange avec du grain. Pas d’enclos pour animaux. Il frappa à la porte. Pas de réponse. Il poussa la porte. Elle s’ouvrit. Il entra et il s’arrêta sur le seuil, stupéfait. Le milieu de la pièce était occupé par une grande table de ferme recouverte de nourriture. Il y en avait tant qu’on ne voyait même plus la nappe. Il y avait :

Du pain, des crêpes, des galettes, des gâteaux,

De la viande crue, de la viande cuite, frite, bouillie, rôtie, confite, farcie, fumée, braisée,

Des fèves, des haricots, des choux, des navets et des salades de toutes sortes,

Des fruits frais, des fruits secs, cuits ou confits

Et, bien sûr, de grandes cruches de bon vin. 

L’émotion lui coupa les jambes. Il s’assit. Puis il réfléchit. Dans un coin de la pièce, il y avait un sac assez grand, assez fort pour tout emporter. Mais la faim l’affaiblissait tant !

Alors il mangea. Pas trop. Il ne faut pas manger trop quand on jeûne depuis si longtemps. Cela peut tuer.

Il mangea. Pas trop vite. Il ne faut pas manger trop vite quand on jeûne depuis si longtemps. Cela peut faire mal au ventre.

Puis il but. Juste un demi-gobelet. Il ne faut pas boire trop quand on jeûne depuis si longtemps. Cela peut rendre malade.

Ensuite, il prit sa pipe, la bourra des derniers brins de tabac qui lui restaient –il les gardait pour une grande occasion-, et il fuma.

Il se sentait bien. 

Alors il se leva, alla chercher le sac, se retourna vers la table. Elle était vide. Toute la nourriture avait disparu. A la place, se tenait un gros chat noir assis sur son train de derrière et qui le regardait avec l’air de se moquer de lui.

  • Oooohhh !!! s’exclama le pauvre homme. Ca, c’est de la sorcellerie !

Et il recula vers la porte sans quitter le chat des yeux –il faut toujours faire face au danger. C’est alors qu’il entendit derrière lui :

Pic ! Pac ! Poc !

Pic ! Pac ! Poc!

  • Tu as raison, l’homme. C’est de la sorcellerie. 

Il se retourna –il faut toujours faire face au danger. Dans l’ouverture de la porte se tenait une femme plus vieille que les chemins de la terre, plus ridée que la mer un jour de grand vent. Dans les neuf coins de sa figure, c’était une catastrophe. Elle était tordue, bossue, pansue, mafflue, goitreuse, boiteuse, bigleuse, hideuse, affreuse. Et par-dessus le marché, elle avait un nez de fer si long qu’il piquait par terre à chaque pas qu’elle faisait.

  • Je vois que tu as bien mangé, l’homme, reprit-elle. Tant mieux. Ainsi mon fils, le diable, te trouvera plus charnu quand il te dévorera vivant avant de t’emporter en enfer d’où aucun mortel ne revient.

Le malheureux se jeta à ses genoux, les toucha –le nez de fer empêchait de les embrasser, selon la coutume des suppliants- et implora :

  • Je vous en prie, madame, que votre fils ne me dévore pas. Je suis fort. Je travaillerai pour payer ce que j’ai mangé.

La vieille ne broncha pas. Alors le bûcheron eut une idée.

  • Madame, ce n’est pas pour moi que j’ai peur. C’est pour mes enfants. J’en ai tant que je ne peux pas les compter. Et ils n’ont déjà plus de mère. Seuls, que deviendront-ils ? Vous avez un fils. Vous devez me comprendre.

Cette fois, la vieille réagit :

  • Des enfants doivent avoir une mère. Puisque les tiens n’en ont plus, désormais, ce sera moi leur mère. Et ils auront à manger autant qu’ils voudront.

Dans sa joie, le bûcheron arriva à embrasser les genoux de la vieille malgré le nez de fer.

     °  Merci, madame ! Merci !

Puis il réfléchit :

  • Mais un père, pour les enfants, c’est bien aussi. Alors, si votre fils pouvait ne pas me manger …

  • Il ferait beau voir qu’il mange le mari de sa mère !

  • Le … quoi ?!

  • Tu choisis. Ou moi dans ton lit, ou toi entre les dents de mon fils.

Quand il la vit tordue, bossue, pansue, mafflue, goitreuse, boiteuse, bigleuse, hideuse, affreuse, il faillit choisir les dents du diable. Mais il se rappela ses enfants avec leurs yeux trop grands, leurs joues trop creuses, leurs bras trop maigres. Il accepta le mariage.

La vieille tint parole. Tout réapparut sur la table. L’homme remplit le sac, le chargea sur son épaule, suspendit la hache à son côté – ne jamais oublier l’instrument de travail. Il titubait sous le poids. Cela lui donna une autre idée :

  • Madame, ce que je porte là suffira à peine à nourrir mes enfants pendant un jour, deux en économisant. Mais après, comment ferons-nous ?

  • Ne t’inquiète pas, mon joli fiancé, répondit la vieille. J’emporte mon petit sac de pièces d’or et d’argent qui est toujours plein pour autant qu’on en prenne.

  • Ce doit être lourd. Je vais le porter.

  • Non !!! C’est à moi ! C’est moi qui le porte. Allez, mon joli fiancé. Montre-moi le chemin de la maison qui désormais sera la mienne.

L’homme se mit en marche. Derrière lui il entendait :

Pic ! Pac ! Poc !

Pic ! Pac ! Poc !

Ils marchèrent et picpacpoquèrent comme cela un certain temps. Puis la vieille dit :

  • Mangeons, mon gentil fiancé. J’ai faim.

Manger deux fois dans la même journée, cela ne se refuse pas ! Il s’assit dans l’herbe avec la vieille et ils déjeunèrent. Puis la vieille tendit son gobelet. Le bûcheron le remplit à moitié de vin, comme pour lui.

  • Tu me prends pour une femmelette ! hurla la femme furieuse. Remplis mon gobelet !

Il obéit. Elle but d’un trait, en redemanda, rebut, retendit son gobelet. Cela donna une nouvelle idée au bûcheron. C’était un homme qui avait beaucoup d’idées.

  • Tu as raison, ma charmante fiancée, dit-il en re-remplissant le gobelet à ras bord tandis qu’il ne se versait qu’un petit fond. En ce jour de joie, jour de nos fiançailles-mariage, il convient de faire la fête. Buvons à la santé de la mariée.

Ils burent. Ils trinquèrent ensuite à la santé du marié, à la beauté de la fiancée, au bonheur du fiancé d’avoir femme si belle, puis à leurs enfants : d’abord le diable, qui retrouvait un père, après l’aîné du bûcheron, le puîné, le troisième, le quatrième, le cinquième, et ainsi de suite jusqu’à ce que la vieille s’écroulât dans l’herbe ivre morte. Le bûcheron avait tant d’enfants ! Elle dormait du lourd sommeil des ivrognes en ronflant si fort –parce qu’en plus, elle ronflait !- que les feuilles des arbres en tremblaient.

Alors l’homme prit sa hache –je vous avais bien dit qu’il ne fallait jamais oublier l’instrument de travail !- et coupa le nez de fer au ras. La vieille poussa un cri terrible et mourut.

L’homme remit sa hache au côté, chargea le sac de nourriture sur son épaule, accrocha le petit sac de pièces d’or et d’argent à sa ceinture et, titubant sous le poids, manquant tomber à chaque pas, mais sans rien lâcher, il se dirigea vers sa maison. Déjà il apercevait, au-dessus du feuillage, la fumée qui s’échappait de la cheminée. 

Mais le diable, aussi loin qu’il ait été, avait entendu le cri de mort poussé par sa mère. Il était arrivé en courant plus vite que le vent sur ses jambes de diable. Bientôt le bûcheron perçut le bruit de sa course derrière lui, ses hurlements de fureur. Alors il jeta tout, nourriture, pièces, hache, et il se mit à courir de toute la vitesse de ses jambes. Déjà il voyait la porte de sa maison. Il était sauvé.

Sauvé ? Non ! La porte était fermée. Il cria :

  • Les enfants ! Ouvrez ! Vite ! C’est moi, votre père !

Rien ne se passa.

  • Les enfants ! Ouvrez ! Vite ! Sinon je suis mort !

Rien.

Alors le bûcheron eut encore une idée. C’était un homme qui avait vraiment beaucoup d’idées.

  • Les enfants ! Ouvrez vite ! Je vous rapporte à manger pour tous.

La porte s’ouvrit toute grande.

Mais crier avait ralenti la course du bûcheron. Le diable l’avait rattrapé et saisit par l’épaule en y enfonçant ses ongles. Cela fait mal ! Le bûcheron prit le poignet du diable pour arracher ses griffes de sa chair. De sorte que, quand les enfants  sortirent, ils virent leur père qui tenait par le bras le diable qui se débattait.

  • Papa ! crièrent-ils, tiens-le bien ! Nous avons assez faim pour manger le diable lui-même.

  • Moi, dit l’un, je lui mangerai les joues.

  • Et moi, le foie !

  • Moi, les yeux !

  • Moi, les doigts !

  • Moi, ceci … Moi, cela … Moi … Moi … Moi …

Les enfants affamés entouraient le diable, le tâtaient, le pinçaient, le mordaient … En voyant toutes ces petites bouches avides, le diable eut si peur qu’il en devint vert. Et il l’est encore. Il retourna en enfer pour n’en plus jamais ressortir.

Et si vous voulez mon avis, c’est aussi bien comme ça. Il y a assez de misère sur terre sans lui.

 

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