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Le blog d'Hélène Loup
15 juin 2020

LE PRINCE MONSTRE - raconté sur facebook en version adaptée lundi 15 juin 2020 à 18h

LE PRINCE-MONSTRE

Hélène Loup

 Il y a longtemps, très longtemps, au temps où il y avait beaucoup de petits pays et de rois, vivaient, dans cette région de France qu’on appelle la Guyenne*, un roi et une reine qui n’avait pas d’enfants.

  • Nous voulons un enfant, dirent-ils un jour. Nous voulons un enfant qui soit n’importe comment, pourvu que nous ayons un enfant.

Et ils eurent un enfant qui était n’importe comment. C’était un monstre, un monstre affreux, un monstre effrayant, un monstre dégoûtant. Mais ils l’aimaient quand même parce que c’était leur enfant. 

Passe le temps. Il passe plus vite dans les contes que dans la vie. Le monstre arriva à l’âge du mariage. Un jour, il alla voir sa mère qui cueillait ses roses dans son jardin.

  • Mère, dit-il, tous ceux de mon âge sont déjà mariés. Je veux me marier moi aussi. Trouve-moi une femme à épouser.

  • Mon fils, répondit la reine, tu ne peux pas te marier. Tu es un monstre. D’ailleurs aucun père, aucune mère n’acceptera de donner son enfant pour toi. Et aucune fille n’acceptera de t’épouser.

  • Mère, gronda le monstre, si tu ne me trouve pas une fille à épouser, c’est toi que je mange.

  • Je vais voir ce que je peux faire, dit la reine tremblante. 

Elle réfléchit. Puis elle prit quelques pièces d’or, les glissa dans sa poche, quitta le palais, sortit de la ville, traversa le pont, marcha, marcha dans la forêt, monta tout en haut de la montagne et frappa à la porte d’une petite cabane. Là, vivait la femme la plus pauvre du pays qui avait trois filles en âge de se marier. La femme pauvre ouvrit la porte. En reconnaissant la reine, elle plongea dans une grande révérence et demanda :

  • Reine, qu’y a t-il pour ton service ?

  • Je veux, dit la reine, que tu me donnes une de tes filles en mariage pour mon fils.

  • Mais on dit que ton fils est un monstre !

  • Il ne faut pas croire tout ce que l’on dit. Je m’occuperai très bien de ta fille. Tiens ! Voici une pièce d’or pour te le prouver.

La femme était si pauvre qu’elle n’avait jamais seulement vu de pièce d’or. Elle la prit et dit :

  • Toi, la fille aînée, suis la reine. Va épouser le prince. 

La fille aînée descendit la montagne derrière la reine, fière et altière, marcha dans la forêt derrière la reine, hautaine et arrogante, arriva sur le pont avec la reine, orgueilleuse et morgueuse**. Sur le pont se tenait une vieille en haillons, plus vieille que les chemins, plus ridée que la mer un jour de grand vent. Appuyée sur son bâton, elle regardait passer la fille.

  • Où vas-tu comme ça ma belle enfant si décidée ? dit-elle.

La fille détourna dédaigneusement la tête et ne répondit pas. Cela fit rire la vieille.

  • Tu n’as rien à me dire ? Alors moi non plus, je n’ai rien à te dire. Tant pis pour toi, la fille, tant pis pour toi. 

La fille arriva au château. Mais dès qu’elle aperçut le prince, elle voulut faire demi-tour pour fuir. On la retint :

  • Regarde, lui disait-on, on t’a préparé une belle fête.

Et c’était vrai. Cela avait beau être un monstre, c’était tout de même un prince et la fête était splendide. Quand la fille entendit les violons de la danse, vit les grands seigneurs, les dames superbement vêtus la saluer jusqu’à terre et surtout, sur les tables, l’abondance de nourritures plus somptueuses et de boissons plus succulentes qu’elle n’aurait jamais pu imaginer même dans ses rêves les plus fous, pour bien manger, bien boire et bien s’amuser, elle accepta d’épouser le prince. Et c’est vrai qu’elle mangea bien, but beaucoup, s’amusa énormément toute la journée.

Mais le soir, la fête était finie. Il fallut entrer dans la chambre avec le monstre. Le lendemain matin, le prince en ressortit tout seul. 

Passe le temps comme il passe toujours car il n’est que le temps, il ne sait que passer. Un jour, le prince alla de nouveau voir sa mère qui soignait ses roses dans son jardin.

  • Mère, dit-il. Cela m’a beaucoup plu d’être marié. Trouve-moi une autre femme à épouser.

  • Non, mon fils ! répondit la reine. Tu as dévoré ta première femme. Je ne veux pas t’en donner une deuxième à manger.

  • Mère, gronda le monstre, trouve-moi une femme à épouser. Ou c’est toi que je mange.

  • Soit, dit la reine effrayée. Mais tâche de ne pas la manger, celle-là. 

Elle prit une bourse de pièces d’or, la glissa dans sa poche -non sans mal, la bourse était grosse, la poche petite-, quitta le palais, sortit de la ville, traversa le pont, marcha, marcha dans la forêt, monta tout en haut de la montagne et frappa à la porte de la petite cabane. La femme pauvre ouvrit.

  • Toi ici, reine ! Quelles nouvelles de ma fille ?

La reine se raidit d’un air offensé : ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse à une reine. Alors la femme pauvre plongea dans une profonde révérence et demanda :

  • Reine, qu’y a t-il pour ton service ?

  • Je veux, dit la reine, que tu me donnes une de tes filles en mariage pour mon fils.

  • Mais tu as déjà une de mes filles ! Ou bien… serait-elle morte ?

  • Un très regrettable petit accident, répondit la reine. Mais je m’occuperai très bien de ta deuxième fille. Tiens ! Voici une bourse de pièces d’or pour te le prouver.

Pour la femme pauvre, c’était la fin de la misère. Elle prit la bourse et dit :

- Toi, la puinée, la cadette, suis la reine. Va épouser le prince. 

La cadette descendit la montagne derrière la reine, râlant et rageant, marcha dans la forêt derrière la reine, grognant et grondant, arriva sur le pont avec la reine, marmonnant et marmottant. Sur le pont se tenait la vieille en haillons, plus vieille que les chemins, plus ridée que la mer un jour de grand vent. Appuyée sur son bâton, elle regardait passer la fille.

  • Où vas-tu comme ça ma belle enfant si ennuyée ? dit-elle.

  • Cela ne te regarde pas, grand-mère, lança-t-elle d’un ton rogue.

Cela fit rire la vieille.

  • Tu n’as rien à me dire ? Alors moi non plus, je n’ai rien à te dire. Tant pis pour toi, la fille, tant pis pour toi. 

La fille arriva au château. On ne lui laissa voir le prince que de très loin et on lui dit :

  • Regarde, on t’a préparé une belle fête.

Ce n’était pas vrai. La fête était moins belle que la première : c’était la seconde. Mais pour une fille qui n’avait jamais vu de fête, c’était tout de même une belle fête.

Et puis on lui offrit de mettre tous les bijoux qu’elle voulait. Elle s’en couvrit du sommet la tête jusqu’aux doigts des pieds et accepta d’épouser le monstre. Elle s’amusa beaucoup toute la journée. A chaque mouvement, cela tintinnabulait, étincelait, jetait des éclats lumineux colorés sur les murs, les meubles et les gens.

Mais le soir, la fête était finie. Il fallut entrer dans la chambre avec le monstre. Le lendemain matin, le prince en ressortit tout seul. 

Passe le temps. Combien, je ne saurais le dire. L’histoire ne le dit pas. Mais ce que je sais, c’est qu’un jour, le prince alla encore voir sa mère qui respirait ses roses dans son jardin.

  • Mère, dit-il. Cela m’a vraiment beaucoup plu d’être marié. Trouve-moi une autre femme à épouser.

  • Non, mon fils ! Non ! répondit la reine. Tu as déjà dévoré deux femmes. Je ne vais pas t’en donner une troisième à manger.

  • Mère, gronda le monstre furibond, trouve-moi une femme à épouser. Ou c’est toi que je mange.

  • Soit, dit la reine. Je vais aller t’en chercher une autre. Mais je te préviens. Quoiqu’il arrive, celle-là sera la dernière. 

Elle prit cette fois un gros sac plein de pièces d’or et le garda sur le bras -la poche était trop petite-, quitta le palais, sortit de la ville, traversa le pont, marcha, marcha dans la forêt, monta tout en haut de la montagne et frappa à la porte de la petite cabane. La femme pauvre ouvrit.

  • Toi ici, reine ! Quelles nouvelles de ma deuxième fille ?

La reine se raidit d’un air offusqué : ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse à une reine. Alors la femme pauvre plongea dans une profonde révérence et demanda :

  • Reine, qu’y a t-il pour ton service ?

  • Je veux, dit la reine, que tu me donnes une de tes filles en mariage pour mon fils.

  • Mais tu as déjà eu deux de mes filles ! Ou est-ce que ma cadette aussi est morte ?

  • Un très très regrettable petit incident, répondit la reine. Mais je m’occuperai très très bien de ta deuxième fille. Tiens ! Voici un sac plein de pièces d’or pour te le prouver.

  • Non, reine. Garde ton or. Moi, je garde ma fille. Il y a trop de « regrettables petits incidents », chez toi. Et puis je suis vieille. Qui me soignera, quand je serai malade, qui me fera ma soupe, qui allumera mon feu, qui tirera mon eau du puits ? Je mourrai, seule. Garde ton or, reine. Moi, je garde ma fille. 

Alors la plus jeune, la dernière, la benjamine s’avança et dit :

  • Mère, prends l’or de la reine. Tu pourras t’offrir tous les serviteurs, toutes les servantes dont tu auras besoin dans ta vieillesse. Moi, je veux épouser le prince comme mes sœurs, suivre le chemin qu’elles ont suivi, vivre ce qu’elles ont vécu. D’ailleurs, tu le sais, les filles, cela s’en va quand elles sont à l’âge.

  • Ma fille, puisque tu le veux, va.

La reine posa le sac sur la table et partit. La benjamine descendit la montagne derrière la reine, marcha dans la forêt derrière la reine, arriva sur le pont avec la reine. Sur le pont se tenait la vieille en haillons, plus vieille que les chemins, plus ridée que la mer un jour de grand vent. Appuyée sur son bâton, elle regardait passer la fille.

  • Où vas-tu comme ça ma belle enfant si triste ? dit-elle.

  • Grand-mère, je vais épouser le prince, comme mes sœurs, et, si ce que l’on dit de lui est vrai, me faire dévorer par lui comme mes sœurs.

  • Mais si tes sœurs avaient su me répondre, et me répondre comme on doit répondre, je leur aurais dit ce que j’avais à dire, et que toi tu vas entendre.

Quand tu arriveras au château, demande qu’on te fasse faire trois robes. Une blanche, une rose et une bleue-mauve. On te les donnera. On te donnerait n’importe quoi pour que tu épouses le monstre. Car c’est bien un monstre. Enfile les trois robes l’une sur l’autre : d’abord la bleue-mauve, ensuite la rose, enfin la blanche. Va au mariage comme cela, assiste à la fête comme cela, le soir entre dans la chambre comme cela. Quand la porte sera fermée, le prince te dira : « Déshabille-toi, la fille ! » Tu lui fera ta plus belle révérence et tu lui répondras : « Déshabille-toi d’abord toi-même, mon prince ! » Tu peux exiger cela, le soir de tes noces. C’est la coutume. Mais le prince est un monstre : il n’a pas d’habits. Alors il ôtera une première peau et toi, tu enlèveras une première robe. Tu continueras comme cela, robe pour peau et peau pour robe. Je ne vais quand même pas tout te dire. 

La fille rattrapa la reine. Elle arriva au château. On ne lui laissa pas apercevoir le prince, même de très loin. Mais on lui dit :

  • Regarde, on t’a préparé une belle fête.

Ce n’était pas vrai. C’était une toute petite fête, et même une fille si pauvre pouvait s’en rendre compte. Mais beaucoup de gens était venu pour voir cette fille qui allait se faire manger par le monstre.

Puis on lui offrit bijoux, vaisselle d’or et d’argent, château, équipages et serviteurs.

  • Ce que je veux, répondit-elle, et je ne me marie pas si je ne les ai pas, ce sont trois robes : une blanche, une rose, une bleue-mauve.

On la trouva bizarre, cette fille qui voulait trois robes pour une seule soirée et refusait toutes les autres richesses. Mais on aurait fait n’importe quoi pour qu’elle épouse le monstre. Elle eut ses trois robes. Elle les enfila l’une sur l’autre, la bleue-mauve d’abord, la rose par-dessus, en dernier la blanche. Elle alla au mariage comme cela, à la fête comme cela, et le soir, elle entra dans la chambre comme cela. 

Le prince ferma la porte et ordonna :

  • Déshabille-toi, la fille.

Elle lui fit sa plus belle révérence et répondit :

  • Déshabille-toi d’abord toi-même, mon prince.

Le monstre ôta sa première peau. Sa peau de piquants. La fille ôta sa robe blanche.

Le prince se retourna :

  • Tu es encore habillée, la fille. Je t’ai dis de te déshabiller.

  • Mon prince, je t’ai dis de te déshabiller d’abord toi-même.

Le monstre enleva sa deuxième peau. Sa peau de loup. La fille enleva sa robe rose.

  • Mais la fille, tu es toujours habillée ! Je t’ai dis de te déshabiller !

  • Mais mon prince, je t’ai dis de te déshabiller d’abord toi-même !

Le monstre commençait de retirer sa troisième peau, sa peau de crapaud toute visqueuse, quand celle-ci éclata dans un bruit de tonnerre et un grand éclair blanc. Dessous, il y avait un très beau garçon, comme je souhaite à tous les garçons de le devenir et à toutes les filles d’en trouver un, quand elles seront à l’âge. La fille retira sa robe bleue-mauve, ils allèrent au lit comme un mari et comme une femme et, le lendemain, ils sortaient tous les deux de la chambre. Ils étaient de très joyeuse humeur et déjeunèrent de très bon appétit. 

Je le sais, car j’étais cachée sous la table. Mais les amoureux n’aiment pas qu’on les écoutent, quand ils se parlent d’amour. Ils m’ont donné un tel coup de pied, chacun dans une fesse, que je me suis envolée en tourbillonnant par-dessus le monde, par-dessus le temps lui-même, et je suis arrivée ici pour vous conter mon conte borgne. 

 

*Guyenne : ancienne région du sud-ouest de la France.

**morgueur, morgueuse : plein de morgue, orgueilleux, arrogant. 

 

Adapté de « La Belle et le monstre » - Conte populaire français de Guyenne recueilli par Paul Delarue, paru dans « Le conte populaire français ». Editions Maisonneuve et Larose,

et repris dans « 365 contes » - Compilation de contes de Muriel Bloch – 1-2 janvier.

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Commentaires
M
Cette version de ce conte que j’aime conter m’a apporté des mots et des expressions qui m’aident à le rendre plus facile à écouter pour de plus jeunes enfants. Bravo et MERCI….
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