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Le blog d'Hélène Loup
28 mars 2012

"Le figuier de Joseph le Nazaréen", de Jean-Marie Lamblard

A Hélène LOUP,
Moins conte peut-être mais tout autant légende, voici la dernière escale du périple dans les jardins de Méditerranée.
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JML

Aux lecteurs bénévoles, aux amis, à vous :

Célébration du figuier III. (Suite et fin)

Le figuier de Joseph le Nazaréen

   La longue marche des réfugiés
   Les routes chargées d’exilés sont innombrables et de tous horizons, les causes de déportation multiples. L’action est intemporelle. Le père prend l’enfant dans ses bras, l’épouse suit, la famille se met en marche pour fuir la persécution. Pourquoi ceux-là en particulier ? Que leur reproche-t-on ? De ne pas être du bon côté, de la bonne nation, de la vraie religion, du clan dominant, de ne pas parler le bon langage, de faire l’objet d’une rumeur.
            Dans la mythologie des origines, on raconte le bannissement d’Agar l’Egyptienne : « Abraham, chasse cette servante et son fils, car le fils de cette servante ne doit pas hériter avec mon fils, avec Isaac !

Abraham se leva de bon matin, prit du pain et une outre d’eau qu’il donna à Agar, les plaçant sur son épaule, puis la congédia avec Ismaël. Elle s’en alla et erra dans le désert du Négeb. » (Genèse XXI-14)

Je ne reviens pas sur cette célèbre scène de rupture, j’ai déjà tenté de l’éclairer (Rhapsodie méditerranéenne, pages 41-44), elle est, plantée là, dans la Bible, comme l’une des bornes qui jalonnent l’histoire humaine, victime des luttes fratricides depuis Abel et Caïn.

Comme un écho de ce drame des commencements, nous retiendrons la Fuite en Egypte d’une humble famille palestinienne de confession juive. Joseph soustrait sa femme et son fils au péril de mort en les conduisant hors de portée des soldats d’Hérode.

Aujourd’hui, les images que l’on nous montre à la télévision des réfugiés syriens fuyant Homs pour rejoindre le Liban font resurgir toutes ces images d’exodes vers une improbable terre d’asile.

La quête d’un jeune couple cherchant refuge pour la nuit, alors que doit naître leur premier enfant, est un sujet de pastorale ; ce qui survient les jours suivants est plus difficile à raconter. À ma connaissance, il n’y a que l’Évangile de Matthieu qui l’aborde (et le film sublime de Pasolini qui seul trouve les images capables d’illustrer le mystère).
                                                                               

    Un ange parle au charpentier  (La Fuite en Egypte, Les Grandes heures d’Anne de Bretagne. Editions M. Moleiro. Courtesy)
   Quelques semaines après la naissance de l’enfant, en Judée, le couple de Joseph et Marie se croit, à tort ou à raison, persécuté par les sbires du dictateur local, le roi Hérode.

Joseph a été réveillé en sursaut par une voix lui disant que l’enfant était en danger de mort, qu’il devait fuir de chez lui, aller ailleurs, là où la vie serait plus sûre et plus facile ; se réfugier en Egypte pour trouver le havre de paix espéré.

Lui donnera-t-on du travail là-bas, aura-t-il un toit, une couche pour sa femme, un abri pour l’enfant ?… S’il faut aller ailleurs, aux pays d’abondance, autant se rendre chez les anciens impérialistes qui s’étaient enrichis par le passé avec les bras de ses ancêtres esclaves au pays du Nil.  

Un charpentier immigrant pourrait peut-être trouver à s’employer auprès d’un atelier de menuiserie, un chantier naval, une fabrique de cercueils. Peut-être pourra-t-il aussi, comme Amos le prophète biblique, se louer pour pincer les figues du sycomore…

L’Egypte n’est pas un pays très boisé. Lorsque les constructeurs réclamaient des poutres et des mâts, le gouvernement royal les importait du Liban. Les espèces locales se réduisaient aux palmiers des rives du Nil, aux acacias, et surtout aux sycomores. Ce dernier arbre était considéré comme une manifestation de la Déesse-Ciel, selon Jean Yoyotte. Arbre des jardins et des vergers, son bois servait aussi à confectionner des statues et du mobilier ménager.

    Les pinceurs de sycomores
   Voici l’occasion de dire un mot sur cet arbre fruitier proche de notre figuier commun. (Ci-dessous, statue de l’Artémis d’Ephèse trouvée à Leptis-Magna, en Libye. Le bustier de la déesse- mère présente une profusion de “mamelles” . Voir L’Oiseau Nègre, page 123. Photo Lamblard. )  http://www.editions-imago.fr/listeauteur.php?recordID=23&categorie=Ethnologie,%20traditions%20populaires
                                                                                                                                    
    Le sycomore, Ficus sycomorus L. (Sykon : figue ; Moron : mûre) est un arbre robuste au bois dur. Il produit en abondance des figues poussant directement sur son tronc et ses maîtresses branches. Les figues se présentent serrées comme les seins sur le bustier de l’Artémis d’Ephèse, la déesse mère anatolienne. Le fruit du sycomore se disait « kaou » en langage égyptien ; il s’écrivait en insistant, dans les dessins du mot, sur les liens que les anciens habitants du Nil imaginaient entre le fruit et les organes de la génération.

Les meilleures variétés de figues ont besoin d’une incision pour mûrir, ou d’une excision circulaire. Quelques jours avant leur maturité, un homme spécialiste de cette opération, équipé seulement de ses ongles ou d’une fine lancette, monte sur l’arbre et fait une petite incision à chacun des fruits. Un suc laiteux s’écoule de la plaie et la figue achève sa maturité. Cette opération de pinçage donne aux fruits leur douceur sucrée.

    Trois ou quatre années d’exil
   La fuite en Egypte de Joseph, de Marie, et de l’enfant Jésus aurait eu lieu un an environ après la naissance du bébé. Matthieu l’Évangéliste est la seule autorité biblique qui note cet événement. Ce lettré converti au christianisme exerçait le métier de percepteur ; il aurait livré son récit une cinquantaine d’années après la mort du Christ. C’est lui, Matthieu, qui mentionne le retour de la famille persécutée en Galilée, à la mort du tyran :
« À la mort d’Hérode, voilà que l’ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, en Egypte, et dit : Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et va en terre d’Israël car ceux qui en voulaient à vos vies sont morts. » (Matthieu II-18)  

Les historiens fixent la mort d’Hérode en avril de l’an 4 avant notre ère, ce qui nous donne un repère pour évaluer la date controversée de la naissance de Jésus. La tradition copte (les chrétiens héritiers de l’Egypte ancienne) prétend que la sainte Famille serait restée entre trois ou quatre ans sur le sol égyptien. Faites vos comptes, en sachant qu’il n’existe à ce jour aucun document matériel pouvant étayer les dires des uns ou des autres.

    La longue marche des expatriés
   Combien de jours dura le déplacement ? Étaient-ils isolés, ou en caravane de migrants ? Avaient-ils versé de l’argent à des passeurs ? Nous n’en savons rien.

Longtemps après, des adeptes reconstitueront l’itinéraire du trio misérable, de Bethléem à Gaza, et l’entrée en Egypte par Rafah. Longtemps après on se souviendra de leur arrivée à l’est du Delta.

Ils avaient traversé Cheikh Zoweid, longé la méditerranée, puis contourné El-Ariche et El-Kallès. À Péluse, ils firent halte en lisière des marais, espérant trouver une barque pour franchir la passe. Ils n’étaient pas seuls à vouloir traverser, d’autres attendaient. Des voleurs rôdaient, les pêcheurs attachaient solidement leur bateau et fermaient leur porte.

Port Saïd et Port Fouad n’existant pas encore, on retrouve les réfugiés à Bubastis, puis à Bilbeis, à Sakha… Ils avançaient toujours vers Héliopolis, vers le soleil. Un arbre ici, une source là, un abri plus loin, conservent le pieux souvenir du passage de la famille errante.

C’est dans les faubourg du Caire actuel, à Matariyeh alors misérable hameau, que la mémoire du séjour de la sainte Famille est la plus vive.
    
    Le figuier de la Vierge
   Aujourd’hui, à Matariyeh, quartier résidentiel du Grand Caire, on fait visiter le jardin, désormais enclos de hauts murs, où Marie aurait lavé les langes de l’enfant dans une auge de pierre. C’est Shagarat Mariam, nous dit le gardien, chef d’un clan égyptien chargé de surveiller le lieu. Dans le jardin, paraît-il, aurait poussé un baumier à l’endroit où avait dormi le petit Jésus. Peut-être s’agissait-il d’un arbre à oliban ou myrrhe que les pharaons importaient du Pays de Pount, producteur d’encens. Lors de notre visite, nous ne l’avons pas vu.

La relique la plus précieuse et la plus spectaculaire du séjour de la sainte Famille en Egypte est sans aucun doute le sycomore qui pousse toujours dans le jardin de Matariyeh et que l’on montre aux visiteurs.

L’arbre de la Vierge encore bien robuste est couvert de figues comestibles. Ce sycomore, déjà très âgé si l’on en juge par son allure, serait le rejeton d’un autre plus ancien dont on préserve le tronc desséché dans un coin du jardin.

L’arbre primitif, celui qui aurait abrité Marie, et nourri Joseph de ses fruits, serait mort en 1694. Le sycomore peut vivre plusieurs siècles, il se multiplie par drageonnage.

Cependant, Pierre Teilhard de Chardin, alors qu’il était professeur de physique au collège jésuite de la Saint-Famille au Caire, entre 1905 et 1908, apporte un témoignage sur la santé de ce sycomore : « Le 21 juillet 1906, sous le poids de ses branches, la moitié du tronc s’est brisée la semaine  dernière. »                                     (Le sycomore de la Vierge, à Matariyeh, et son tronc couvert de figues mûres)

    La Dame dans le Sycomore
   Par quel étrange cheminement, des images symboliques venues de l’univers mental d’un peuple, vivant au bord du Nil il y a plus de quatre mille ans, peuvent-elles se retrouver dans nos mentalités européennes avec la même valeur spirituelle ?

Le génie du Christianisme tiendrait également dans son aptitude au syncrétisme, ainsi que dans sa grande habileté à substituer aux pratiques culturelles anciennes ses nouveaux codes et sa doctrine nouvelle.

Il est remarquable de noter que le sycomore, présent dans la civilisation égyptienne, dont le bois servait à la fabrication des sarcophages, dont les fruits scarifiés se retrouve dans les tombes, est associé à la grande déesse Mère.

D’après la croyance égyptienne, le mort, au cours de son voyage dans l’autre monde, était accueilli par une bonne déesse qui le nourrissait et l’abreuvait. Elle porte en général les noms de Nehet, De Hathor, ou d’Isis, mais bien souvent elle s’appelle simplement « Dame du Sycomore ». Elle est peinte sur les temples et les tombes surgissant des branches de l’arbre pour donner le sein au suppliant.

Des inscriptions hiéroglyphiques mentionnent cet arbre sacré sous le nom de « nehet », c’est l’Arbre de vie de la déesse Néhet, enseignait Jean Yoyotte.

La civilisation pharaonique étant déjà morte à l’arrivée du christianisme, les Coptes ont adapté le prestigieux héritage aux croyances nouvelles, et donné à Marie l’apanage des grandes déesses-Mères du Nil.
                                                                                        
    Du verger de la Figue au Figuier de la Vierge
   Comble de raffinement botanique et intellectuel que cette fructification du sycomore ! Comme de nombreux fruits, cette figue ne peut mûrir que si elle est fécondée grâce à l’intervention d’un insecte minuscule et aérien, le « blastophage ». Ce blastophage allant chercher la semence sur le « caprifiguier » (le figuier-mâle ; caper le bouc !) C’est ce que les botanistes nomment la caprification.

Et lorsque le minuscule messager spirituel et complaisant est absent de la contrée, ce qui est souvent le cas en Egypte, l’arbre assure la fructification selon un mode d’autofécondation que l’on appelle « parthénocarpie » (parthénos : vierge ; carpos : fruit). Les initiés parlent de fécondation « pneumatique », nous y reviendrons.

En somme, cette petite abeille blastophage joue en vérité le même rôle que celui, symbolique, de la colombe du Saint-Esprit que les peintres du Quattrocento plaçaient dans leurs Annonciations.

Ainsi, Marie pouvait se reposer du voyage sous le sycomore sans crainte de discordances avec ce qui allait devenir la parole des évangiles. Et l’admirable Joseph subvenir aux besoins de sa précieuse famille.

Depuis 1870, la fête de Joseph de Nazareth est fixée au 19 mars. Pie XII a vainement tenté d’imposer une seconde fête au 1er mai, pour glisser un « Joseph le Travailleur » dans le défilé. Ça n’a pas marché. À tout considérer, je suggère que l’on choisisse notre Joseph-le-Palestinien pour inaugurer une journée du droit d’asile, placée sous ses auspices en tant que protecteur tutélaire des réfugiés.

    Ainsi s’achèvera notre périple en compagnie du figuier. (Printemps 2012)

     (Remerciements à Jeanne Bulté ; Véronique Laurent ; et les Editions M. Moleiro. )

    PS. Les deux premiers volets de cette Célébration du figuier se trouvent sur le site « Lettres d’Archipel », avec leurs illustrations : http://www.lamblard.com <http://www.lamblard.com/>

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Jean-Marie LAMBLARD
jmlamblard@wanadoo.fr
http://www.lamblard.com  - <http://www.lamblard.com>
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