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Le blog d'Hélène Loup
18 mars 2012

Jean-Marie Lamblard - "Le figuier de la connaissance"

À Hélène LOUP, avec toute la sympathie de Jean-Marie Lamblard
Hommage à la communauté des Conteurs :

Célébration du figuier, 2.

 

 

Le Figuier de la Connaissance

 

 



        Les pinceurs de sycomores
   Il fut un temps, quand on me demandait quel était mon métier, je répondais « méléagriculteur », ce qui, le plus souvent, achevait la conversation ; les gens ne sont pas pressés d’étaler leur ignorance. Lorsque le gendarme qui dressait la contravention haussait le sourcil à l’énoncé de cette profession, je m’empressais d’ajouter : « mettez tout bêtement agriculteur », ce qu’il se hâtait de faire.

    Parfois, j’avouais élever des petits oiseaux, notamment les petits oiseaux destinés aux photographes, confession qui me valait l’amitié des enfants.

    Ces métiers se perdent, comme tant d’autres.

    Mon copain Ahmed le Sage, dernier d’une longue dynastie de ferronniers, est spécialiste du coq de clocher avec fonction de girouette. Maintenant il travaille à la soudure à l’arc, ce qui provoque des incendies dans les vieux clochers et leurs charpentes en bois ; contrit, mon copain s’est inscrit au chômage.

    Ma vraie vocation, la profession que j’aurais aimé exercer, je ne l’ai jamais déclarée pour éviter les cancans : je voulais être pinceur de sycomore. Tout juste comme Amos, le prophète de malheur de la Bible, l’était. Et comme lui j’aurais aimé dire : « Je ne suis pas prophète, car je suis garde-bêtes et pinceur de sycomore. » (Amos, VIII-4)

    C’est un gagne-pain assez voisin des fécondateurs de palmiers. Vous savez, ces hommes agiles que l’on voit grimper le long des troncs à l’époque de la floraison, pour accrocher une touffe de fleurs mâles au-dessus des fleurs femelles en grappe, qui donneront les futurs régimes de dattes. Selon la volonté du Créateur, cette fécondation devait s’effectuer naturellement par l’intermédiaire des insectes pollinisateurs ; hélas, dans les palmeraies et les oasis, les papillons meurent comme partout, alors les hommes doivent suppléer à leur disparition et remplacer la nature en faisant à leur tour oeuvre de création.

    Travailleur saisonnier, le pinceur de sycomore, lui aussi, n’intervient qu’une fois l’an. Mais peut-être ne savez-vous pas ce que sont les sycomores ?

   En attendant, restons encore un peu sous le figuier                     .

   
   Le figuier du jardin d’Eden
       Le dernier des Prophètes l’a dit :

    « Par le figuier et l’olivier, Par le mont Sinaï,
   Par le territoire sacré,
   Nous avons créé l’homme dans ses plus admirables proportions. »

                                                            (Sourate XCV, Le figuier)

    En d’autres temps, Jésus, regagnant au matin Jérusalem, eut faim. Sur le chemin, il vit un figuier, il y vint, mais il n’y trouva rien que des feuilles. Il lui dit : « Que plus jamais un fruit ne naisse de toi ! Et le figuier sécha tout de suite. » (Matthieu, XXI-19).  

    Brrr !… Avec cet homme, il ne fallait pas se manquer. Marc nous rapporte la même anecdote et précise que le figuier n’avait que du feuillage à offrir « Car ce n’était pas le temps des figues. » (Marc, XI-13).

    Notre grand Homme, comme tous les grands hommes, avait ses faiblesses : « Nathanaël, Nathanaël, je t’ai vu quand tu étais sous le figuier ! » (Jean, I-43) Allons bon !… Nathanaël, l’intellectuel, doutait que la ville de Nazareth puisse produire quelque chose d’agréable pour l’humanité. Prémonition ?

    De fait, il semble bien que Jésus n’aimait pas le figuier. Lui aurait-on révélé qu’il avait offert ses ombrages aux premières amours du jardin d’Eden ? Lui préférait-il le sycomore ? Questions restées sans réponse jusqu’à ce matin.

         Nourritures terrestres
        En écho, le Littérateur se pâme : « Nathanaël ! quand aurons-nous brûlé tous les livres ! … Il ne suffit pas de lire que les sables des plages sont doux ; je veux que mes pieds nus le sentent… »

« Chante à présent la figue, Simiane,
Parce que ses amours sont cachées.
Je chante la figue, dit-elle,
Dont les belles amours sont cachées.
Sa floraison est repliée.
Chambre close où se célèbrent des noces.
Aucun parfum ne les conte en dehors.
Comme rien ne s’en évapore,
Tout le parfum devient succulence et saveur,
Fleur sans beauté, fruit de délices,
Fruit qui n’est que sa fleur mûrie.
J’ai chanté la figue, dit-elle,
Chante à présent toutes les fleurs.
»

    Le quatuor du Paradis
   La vigne et le figuier, l’olive et la grenade, sont les quatre divinités d’un panthéon polythéiste et familier.

    Le poète chante pour des nèfles ; mon ami Claude vous le dirait. N’étant point poète, mais larron, je grappille le long des chemins de traverse et tends la main vers la branche qui s’incline à la rencontre du passant. Chez nous, c’est toujours la saison des figues, je vous en ai cueilli une poignée. Ces nourritures ne sont pas miennes, je n’ai fait que les amasser au hasard des lectures.

    Oublions la figue-au-pape du mardi-gras, le Carnaval est achevé, et pardon pour la grivoiserie ; le printemps arrive, nous goûterons aux fruits et cueillerons l’aubaine d’Hermès.

    Ahmed le Sage se promenait rue des Martégales sur le Vieux Port à Marseille. Une femme l’accosta et lui dit : « Veux-tu m’aimer, viens, tu verras, je suis douce comme une figue mûre ! »

    Si-Ahmed répondit : « Un jour, une figue dit à un âne : Mange-moi, tu verras, je suis douce comme une femme ! L’âne s’enfuit épouvanté d’avoir entendu parler une figue. »

    En écho, le Sage rapporte qu’un jour, un pèlerin s’arrêta sous un figuier où il n’y avait plus qu’une seule figue tombée à terre. Affamé, l’homme ramassa le fruit malgré sa mauvaise mine. De l’intérieur de la figue blette, un ver lui cria : « Ne nous mange pas ! comme j’ai rongé toute la pulpe du fruit, tu en serais pour ta peine. »

    Le pèlerin réfléchit. « Es-tu gras, ou maigre à faire pitié ? demanda-t-il. » Vaniteux, le ver répondit : « Je suis gras, cette figue aura été l’opulence de ma vie ! » « Fort bien, dit l’homme. J’espère que ta graisse aura le goût de figue. » Et il mangea le ver.

    La sagesse populaire aime à dire que pour être bonne, la figue doit montrer « habit de pauvre, oeil d’ivrogne, et cou de dévote ».

    Le diable de Papefiguière
   Les Évangélistes, eux, laissent entendre que Jésus n’aimait pas sa mère. Savez-vous pourquoi ? Peut-être parce qu’elle était vierge, non ?

    Cette impertinence ne nous éloigne nullement du figuier lequel offre la particularité de réconcilier les genres.

    Dès les premiers monuments de notre culture, nous voyons les hommes auprès du figuier. D’abord au proche Orient comme il se doit : Déméter la déesse mère de la Terre enseigne la culture des figuiers au roi d’Attique. Dans L’Iliade, Homère se réfère au suc du figuier qui fait cailler le lait de chèvre lorsqu’on l’agite avec une tige fraîchement coupée. Aristote reprendra cette image du suc coagulateur de lait, à l’égal de la présure, pour expliquer le rôle des fluides dans la formation initiale de l’embryon humain.

    Plutarque dans son Traité d’Isis et d’Osiris attribue à la civilisation de l’Egypte pharaonique les symboles attachés au figuier et à ses fruits, « Parce que le figuier est, selon les Egyptiens, le principe de l’élément humide et de la reproduction, et que ses fruits sont semblables à l’organe de la génération. »

    Nous y voilà ! Il faudra attendre Gustave Courbet, au milieu du XIXe siècle, pour appeler un chat un chat et montrer l’Origine du monde sans le secours d’un fruit de figuier.

    Vous, lecteurs de la précédente Lettre d’Archipel sur la figue-au-pape, devez subodorer un début de confusion et flairer comme une odeur d’équivoque. Ce geste de la « fica » qui est censé détourner le mauvais oeil ; ce geste que Jean de La Fontaine mentionne dans l’insulte adressée au saint Père, et que l’on voit dans toute sa vigueur dans le document archéologique photographié pour vous, ce geste ne peut en aucune façon évoquer l’organe féminin : c’est le symbole viril par excellence… Alors, Adam ou Eve ?

   La caprification du figuier
   La caprification est la pollinisation des figuiers en référence à la race caprine (caper : bouc). Dans la nature, le figuier est parfois mâle, et parfois femelle. Si l’arbre produit des figues immangeables, c’est un mâle. Seul l’arbre femelle produit des fruits comestibles. La confusion est totale en dehors des périodes de fructification. L’homme peut s’y tromper. Seul un insecte, une sorte de petite abeille appelée blastophage est apte à deviner où se trouvent les futures figues comestibles, et de s’employer à transporter le pollen d’un arbre à l’autre afin que les graines mûrissent dans leur involucre charnu et succulent.

    Nous voici devant l’une des manifestations de la complexité du vivant que les naturalistes nomment la « parthénocarpie » (parthénos : vierge / karpos : fruit). Les initiés parlent de fécondation « pneumatique », nous y reviendrons.

    Pour progresser dans notre jardin, il serait profitable de nous intéresser au sycomore, notamment au Sycomore de la fuite en Egypte. Ce sera l’objet d’un prochain courrier, le troisième et dernier volet de cette Célébration du figuier.  

    À bientôt si vous le souhaitez.  

    Cette note fait suite à la lettre, « La figue au pape » Qui se trouve désormais sur le site avec ses illustrations :

 < http://lamblard.typepad.com/weblog/2012/03/la-figue-au-pape-.html >   

  PS. Pour le 19 mars, jour de Joseph le Nazaréen, protecteur des réfugiés, un dernier volet présentera le Sycomore de la Vierge et la “Fuite en Egypte”.
    Au moment de boucler cet article, mon amie Émilie Valantin :Théâtre du Fust: http://www.cie-emilievalantin.fr/ , qui lit par dessus mon épaule, m’apprend que les marionnettes doivent leur nom de “petites Marie” aux représentations des mystères du Moyen-Àge où l’on utilisaient diverses réductions d’images de la Vierge et de son époux afin d’illustrer la Fuite en Egypte, et de donner ainsi l’illusion de l’éloignement de la sainte Famille en remplaçant les acteurs par des poupées de grandeur décroissante. Merci Émilie !
JML
                
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Lettres d’Archipel
Jean-Marie LAMBLARD
jmlamblard@wanadoo.fr
http://www.lamblard.com  - <http://www.lamblard.com>
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