La présence constante de la question féminine dans les débats sociétaux amène à revisiter les images que furent (et sont encore) celle de sorcière et celle de fée. Ces incarnations à la fois féminines et magiques, disons surnaturelles, montrent leur force dans les productions cinématographiques ou littéraires, pour enfants comme pour adultes. Hélène Loup, conteuse rompue à maintes histoires venues de maints pays nous en raconte ici quelques fondements. [LGdS]


— Quelle est la différence entre une fée et une sorcière ? demande à brûle-pourpoint un conteur facétieux.
— Facile ! La sorcière est méchante, la fée est bonne, répond du tac au tac le Candide du groupe.
— Eh non ! rétorque le conteur sur un ton taquin. Cela dépend des cas. C’est une fée qui jette un mauvais sort à la petite princesse de « La Belle au Bois Dormant ».

Méchantes sorcières et bonnes fées ?

Cette fée, Charles Perrault (XVIIe siècle) l’appelle « la vieille fée », les frères Grimm (XVIIIe) « la treizième fée » et, dans le ballet de Tchaïkovski (XIXe), on la nomme « la Fée Carabosse ». C’est cette même Fée Carabosse que l’on retrouve d’ailleurs, toujours aussi malfaisante, dans les derniers couplets de la chanson enfantine « Dame Tartine ».

De même, dans « Le conte du Roi Renaud »[1] ainsi que dans la chanson traditionnelle « Le roi Renaud », c’est la très belle fée de la fontaine qui impose à Renaud de choisir soit de « l’épouser sur l’heure », soit de « sécher sur pied pendant sept ans », soit de mourir « cette nuit, sur la minuit ». Et comme Renaud, très épris de sa jeune femme, répond imprudemment qu’il « aimerait mieux mourir sur l’heure », il mourra en effet, « sur la minuit », des suites d’une blessure faite en tombant de cheval.

En revanche, une sorcière peut se montrer bonne. Ainsi, c’est une sorcière maligne qui aide le roi à conquérir la belle et sage Zalgoum qui se cache dans une grotte par crainte de son frère qui veut l’épouser[2].

Et, en Italie, c’est une « stria » (une sorcière), la Befana, qui porte traditionnellement les cadeaux aux enfants la nuit de l’Epiphanie.

Des personnages dotés de pouvoirs

Les fées comme les sorcières sont des personnages qui ont des pouvoirs et qui s’en servent à leur guise. Elles peuvent changer le destin des pauvres humains que nous sommes en bien comme en mal. Tout dépend de leur humeur. Tant mieux pour qui leur plait. Tant pis pour qui leur déplait. La « Dame Holle » des contes de Grimm et sa consœur, la fée du conte « Les Fées » de Perrault, se montrent bénéfiques avec la fille aimable, et maléfiques envers celle qui ne l’est pas.

L’auteur de contes modernes, Pierre Gripari, s’est amusé dans « La fée du robinet »[3], à parodier le conte de Perrault en inversant tout : la fée donne le bon don, cracher des perles en parlant, à la mauvaise fille, et le mauvais, cracher des serpents en parlant, à la bonne. Mais la morale y trouve quand même son compte car le bon don fera le malheur de la mauvaise fille, et le mauvais don le bonheur de la bonne.

Dans la mythologie grecque, la magicienne Médée aide Jason à conquérir la toison d’or et à rajeunir son père Aeson. Mais quand Jason se détourne d’elle, elle se transforme en furie, tue ses enfants et s’enfuit dans un char conduit par des dragons ailés.

Source : Gallica Bibliothèque nationale de France

Quant à la sorcière populaire russe, Baba Yaga, elle est généralement dangereuse et dévorante, mais elle peut aussi se montrer bénéfique pour qui sait se la rendre favorable.

Enfin certaines fées changent au fil du temps. Ainsi, les « dames noires » dont certaines dévoraient des enfants, et les « dames rouges » qui aimaient à mort leurs amants, seraient des « dames blanches », ces personnages bénéfiques des anciens récits, qui auraient mal tourné.

Au contraire, les Gianes de Sardaigne qui autrefois se repaissaient, disait-on, de sang et de plaisirs, se sont peu à peu adoucies jusqu’à devenir de gentilles fées, bonnes épouses et mères attentionnées.

Belles, les fées ? Laides, les sorcières ?

Notre Candide, interrogé, répond alors :

— Les fées sont belles, les sorcières sont laides.

Mais ce n’est pas encore la bonne réponse. La belle-mère de Blanche-Neige (Contes de Grimm) est très belle, et Dame Holle (Contes de Grimm), avec ses grandes dents, très laide.

En outre la beauté des fées aussi est changeante. Autrefois, Dame Holle était d’une grande beauté, altière et divine.

Ailes et chapeaux pointus

La différence entre fées et sorcières n’est pas non plus dans la façon de se vêtir. Les unes comme les autres peuvent être habillées splendidement ou recouvertes de haillons, tout en noir ou plaisantes et bien proprettes. Certaines même sont nues ou quasi nues.

Quant au chapeau noir pointu dont on affuble les sorcières à notre époque, il ne date que de quelques décennies et nous vient des USA. En Europe, ce couvre-chef était plutôt celui des médecins.

Les fées de ma jeunesse étaient souvent aussi pourvues de chapeaux pointus. Mais c’étaient des hennins, semblables à ceux apparus au XVe siècle en Bavière. Et elles n’étaient ni ailées ni minuscules. Cette dernière représentation est anglo-saxonne. La fée Clochette du dessin animé de Walt Disney en est un parfait exemple.

La baguette magique

La baguette n’est pas davantage un attribut spécifique des fées. Jusqu’au XIXe siècle, les « belles dames » n’en utilisaient guère. Et dans le long conte de Grimm « Les deux frères », c’est la sorcière qui change hommes et bêtes en statues de pierre à l’aide d’une baguette.

Illustration de Arthur Rackham, (1909) Gallica, BNF

C’est aussi ce dont se sert Circé (« L’Odyssée ») pour changer les compagnons d’Ulysse en pourceaux.

Et ni les lecteurs ni les spectateurs de Harry Potter ne se sont étonnés de voir les sorciers imaginés par la romancière moderne, J.K. Rowling utiliser des baguettes. Celles-ci se sont d’ailleurs singulièrement perfectionnées depuis les baguettes de la sorcière du conte « Les deux frères » et de Circé, et même celles des fées de nos représentations des XIXe et XXe siècles.

Les habitations des fées et des sorcières

Les unes et les autres peuvent habiter de magnifiques demeures, de petites chaumières ou des grottes.

Mais dans des lieux insolites comme l’eau, les arbres ou les fleurs, on ne trouve guère que les fées. Et ceci est un indice. Seuls, en effet, des personnages du monde de « faërie » (ou « féerie » dès le XIIe siècle) peuvent habiter là, pas les humains.

Des mondes différents

Les fées sont des êtres d’un autre monde. Et si ces deux mondes se côtoient, se confondent parfois un instant, ils sont cependant radicalement différents. Le temps, par exemple, ne s’y écoule pas de la même manière, et gare à qui s’attarde quelques jours. Il ne retrouvera plus les siens à son retour. Trop de temps aura passé.

Les sorcières, ou magiciennes, sont humaines, ce sont des femmes, qui pratiquent la magie.

Sorciers et féetaux

Des hommes aussi pratiquent la magie. Ce sont des sorciers ou des magiciens. Les féetaux, eux, sont rares et peu connus. Ils sont moins puissants que les fées, quand ils ne sont pas que leurs époux.

Quant à l’étymologie de ces deux mots, fée et sorcière, nous verrons cela un peu plus tard, ainsi que quelques particularités de certaines sorcières et fées de nos régions européennes.


[1] Contes du vieux-vieux temps, Henri Pourrat
[2] Zalgoum, dans Tellem chaho !, Contes berbères de Kabylie, Mouloud Mammeri)
[3] Les contes de la rue Brocca

L’a Cendrillon en tête de l’article est une illustration d’Arthur Rackham, Hachette, 1919. Source : Gallica, BNF