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Le blog d'Hélène Loup
3 juillet 2020

LE PINCEAU MAGIQUE - raconté sur facebook le vendredi 3 huillet 2020 - adapté du conte publié par Luda Schnitzer

Ce conte clos la série de contes enregistrés pour les enfants de l'ecole Maurice Ravel de Levallois-Perret. Bonne vacances à eux et merci à tous ceux et celles qui m'ont encouragée.

Une précision : Luda parle de la cigogne, mais en Chine, il semble que l'oiseau de la chance et du bonheur soit la grue.

 

LE PINCEAU MAGIQUE

Conte chinois

  

Voici ce que j’ai entendu raconter.

Au temps de nos ancêtres, vivait dans la province de Szu-Chuan, au centre de la Chine, un jeune coolie nommé Daï-Fu, « celui qui apporte le bonheur ». Il travaillait dur, gagnait peu et voulait apprendre à dessiner. Naturellement, il était bien trop pauvre pour payer des leçons, il n’avait même pas de quoi s’acheter un pinceau. Mais il dessinait quand même dès qu’il avait un moment de libre. Avec un bout de bois sur le sol, avec de l’argile rouge sur une pierre. N’importe où et avec n’importe quoi.

Une fois Daï-Fu avait dessiné un coq dans la poussière du chemin. Un vieil homme qui passait s’arrêta et regarda. Le coq, ailes écartées, bec ouvert, semblait prêt au combat.

  • Qui t’a appris à dessiner ? demanda l’homme.

Daï-Fu sourit timidement.

  • Personne. J’essaye de m’apprendre à moi-même, mais c’est difficile.

L’inconnu sourit aussi :

  • Tu n’es pas un mauvais professeur, dit-il. Et tu es certainement un bon élève. Si tu veux, je te donnerai quelques conseils et je t’apprendrai à tenir un pinceau.

Daï-Fu secoua la tête tristement :

  • Votre bonté est infinie, mais je n’ai pas d’argent pour rétribuer votre précieux enseignement.

  • Je ne te demande pas de payer. Je suis vieux et solitaire. Viens habiter chez moi. Tu seras mon élève et tu prendras soin de moi.

Daï-Fu accepta avec joie. Il vécut sous le toit du vieil homme, s’occupa de son maître comme le plus attentionné des fils et appris à tracer au pinceau des dessins précis et pleins de vie. Ses oiseaux avaient l’air de voler, ses poissons semblaient nager et ses paysages respiraient la fraîcheur du matin. Son maître était content de lui et Daï-Fu se sentait pleinement heureux.

Puis le vieux maître tomba malade. Daï-Fu le soigna avec dévouement, mais la mort approchait et le vieillard lui dit :

  • Tu as été un disciple en tous points excellents et je t’aime comme un fils. Je n’ai pas de bien à te laisser, le peu que je possède suffira à peine à payer mon enterrement. Pourtant, je possède quelque chose de plus précieux que l’or. Et cela, je te le donne.

Il tendit à Daï-Fu un vieux pinceau tout usé. L’élève prit le cadeau avec respect et remercia avec reconnaissance. Son maître dit :

  • Tu sais dessiner et tu sais distinguer le bien du mal. Ce pinceau peut accomplir des miracles si la main qui le tient est pure et si l’esprit qui commande la main n’est pas troublé par l’avidité. Ce monde est vaste et peu de gens sont heureux. Puisse ton art leur apporter un peu de joie !…

Le vieil homme mourut. Après l’avoir dignement enterré, Daï-Fu prit le pinceau magique et ses tablettes d’encre, et s’en alla vagabonder sur les routes. Il voulait voir de nouveaux paysages, rencontrer des visages inconnus.

Un soir Daï-Fu s’arrêta dans une auberge. C’était un endroit sombre et triste. La patronne, une femme âgée, aussi morose que sa maison, l’accueillit sans sourire de bienvenue. Aux questions de Daï-Fu, elle répondait à contrecœur. Alors le jeune homme proposa :

  • Si vous m’y autorisez, j’aimerais dessiner quelque chose sur ce mur de papier huilé. Cela rendrait la pièce plus gaie.

  • Il y a longtemps que la gaité a fui cette maison, dit la femme avec amertume. Les gens ne viennent pas, parce que l’endroit est triste. Et moins on vient, plus c’est triste.

  • Permettez-moi d’essayer, insista Daï-Fu. Je vais dessiner une cigogne, l’oiseau de la chance. Cela vous plaira peut-être.

Et, de son pinceau magique, il dessina sur le mur de papier huilé une cigogne. Le dessin était joli et la femme sourit. Alors, tout à coup, la cigogne peinte ouvrit les ailes, tourna la tête d’un côté puis de l’autre, salua et se mit à danser sur le mur. C’était si charmant et si drôle que la femme, ravie, battit des mains :

- Quelle merveille ! La maison en est toute transformée ! Je ne sais comment vous remercier…

Elle voulait payer le peintre, mais Daï-Fu refusa. Il n’accepta qu’un modeste repas et un lit pour la nuit.

On apprit bientôt que, dans la vieille auberge, il y avait un oiseau peint qui dansait. Les gens sont entrés pour voir, puis ils sont revenus. L’auberge ne désemplissait pas, c’était l’endroit le plus gai, le plus plaisant des environs.

Un mandarin qui voyageait à travers la province s’arrêta à « L’Auberge de la Cigogne qui danse » (c’est ainsi qu’elle s’appelait à présent). Il admira le dessin, se divertit de la danse de l’oiseau et, au moment de partir, dit à la patronne :

  • J’achète cette peinture. Dis ton prix, femme.

Respectueusement, la patronne s’excusa :

  • J’en suis navrée, mais ce dessin n’est pas à vendre . C’est l’oiseau de ma chance, il ne peut quitter cette maison.

Du geste, le mandarin écarta l’objection :

  • J’ai dit que j’achète cette peinture, n’as-tu pas entendu ?

Et il fit signe à ses gens de découper le pan de mur. Mais, au moment où ils allaient commencer, la cigogne peinte ouvrit les ailes, allongea le cou et s’envola par la porte ouverte. Le mandarin cria, injuria la patronne de l’auberge et ses gens qui n’avaient pas su retenir l’oiseau. Finalement, fatigué de crier, il ordonna de lui ramener le peintre qui avait fait ce dessin.

Daï-Fu parcourait les campagnes en dessinant pour qui voulait des fleurs qui sentaient bon, des ruisseaux qui murmuraient et mille autres images qui mettaient de la joie au cœur des hommes. Lorsque les gardes du mandarin se saisirent de lui, Daï-Fu peignait un vol de papillons sur le mur de la hutte où vivait un vieillard infirme.

On l’emmena chez le mandarin qui ordonna :

  • Tu es à mon service. Tu vas peindre pour moi seul. Je te paierai bien et tu porteras des robes de soie brodées.

  • Votre offre me comble d’honneurs, et votre générosité est sans égale, répondit le peintre. C’est plein de confusion que je me vois contraint de refuser une proposition aussi flatteuse. Mon pinceau ne travaille pas pour de l’argent et se doit à tous. Je ne saurais être au service d’une personne, fut-elle aussi noble que vous.

  • Je ne te demande pas si tu acceptes. Je t’ordonne. Obéis.

  • Je mets cent mille regrets à vos pieds ! Ce que vous désirez est impossible.

Le mandarin eut un mauvais rire :

- Nous verrons ! Je pense que quelques jours sans boire ni manger te feront changer d’avis.

Et il fit enfermer Daï-Fu dans un cachot. Il y faisait très froid et très noir. Mais quand se leva la lune, un mince rayon se glissa par une fente de la porte et cette lueur suffit au peintre. Il dessina sur le mur de pierres une fenêtre ouverte et, au-delà, la route qui s’en allait au loin. Par cette fenêtre, Daï-Fu s’évada de sa prison et s’éloigna sur la route.

En découvrant son évasion, le mandarin faillit s’étouffer de rage. Il ordonna de donner des coups de bambou à tous les gens des villages environnants et cela, aussi longtemps que le peintre ne serait pas pris. La nouvelle s’en répandit plus vite qu’un feu de broussailles, et Daï-Fu retourna en toute hâte chez le mandarin.

  • Épargnez ces gens, dit-il. Cessez de les maltraiter et je dessinerai pour vous.

  • Je leur ferai grâce, peut-être, si tes dessins me plaisent, dit le mandarin. Si je ne suis pas satisfait, ils seront bâtonnés à mort. Nous verrons… En attendant, je veux voir la mer, dessine-moi la mer !

Docilement, Daï-Fu se mit à peindre. Il peignait une mer calme et bleue où le soleil jouait en taches de lumière. Les vaguelettes caressaient le sable doré de la rive, les cormorans tournoyaient dans le ciel clair. Une jonque ornée de dragons d’or se balançait près du rivage, sa voile frissonnait sous la brise.

  • Je veux monter dans cette jonque, cria le mandarin.

Et Daï-Fu dessina un ponton et une passerelle de laque rouge. Le mandarin grimpa à bord et ordonna :

  • Je veux me promener sur la mer. Fais souffler le vent !

Daï-Fu fit gonfler la voile et la jonque s’éloigna doucement du rivage.

  • Ce bateau n’avance pas ! cria le mandarin, irrité. Tu es un paresseux et un incapable ! Je veux du vrai vent et pas ce souffle d’éventail !

Daï-Fu leva le pinceau, creusant les vagues crêtées de blanc, chassant au large la jonque. Le ciel s’assombrit, la mer devint couleur de plomb. Prise dans la houle, la jonque roulait et tanguait, le mandarin criait quelque chose, mais les rafales de vent emportaient sa voix. Daï-Fu peignait toujours. Les éclairs jaillissaient du ciel noir, un brutal coup de vent arracha la voile de la jonque désemparée. Puis une grande vague déferlante fit chavirer le bateau qui disparut dans les remous…

En quelques coups de pinceau, Daï-Fu apaisa la tempête. Le ciel redevint bleu et le soleil brilla de nouveau sur une mer paisible où il ne restait plus trace de jonque ni de mandarin.

Alors Daï-Fu rangea son pinceau et ses tablettes d’encre et s’en alla tranquillement. La disparition du mandarin fit quelques bruit, mais pas longtemps. Les gens pensaient qu’il s’était enfui, craignant la colère de l’empereur pour l’un de ses nombreux méfaits. Et ce fut tout.

Voilà ce que j’ai entendu raconter. Et on dit aussi que le pinceau de Daï-Fu, le pinceau magique, n’a pas été perdu dans la nuit des siècles. On dit qu’il existe quelque part et qu’il lui arrive encore de réaliser des miracles. A condition, naturellement, qu’il soit tenu par une main pure et que cette main ne soit pas guidée par un esprit que trouble la soif de l’or. Il paraît que cela arrive parfois…

  Tiré du recueil « Les Jardins de la Fille-Roi – contes eurasiens » de Luda – Hatier – 1987 (épuisé)

 

 Note : Ce conte, avait inspiré,

- dans sa version chinoise, l’une des  « Nouvelles Orientales » de Marguerite Yourcenar, « Comment Wang Fo fut sauvé » (1938),

- et, dans la version française présentée par Luda en 1987, diverses versions, généralement adaptées pour les enfants et dont certaines sont assez intéressantes, mais souvent infantilisées et aucune de la force et de la simplicité lumineuse de Luda.

La version chinoise n’a pas été, à ma connaissance du moins, traduite en français.

 

Remarques :

  • Il existe beaucoup de contes de peinture en Chine. Cet art y était très empreint de philosophie.

  • Les dragons d’or étaient associés à l’empereur, dieu vivant. Avec cinq griffes aux pattes, il en a même été le symbole exclusif sous la dynastie des Qing.

  • « Dominer la mer » était l’apanage des dieux et des dragons.

  • En Extrême-Orient, la cigogne est le symbole de l’immortalité et, plus couramment, de la longévité. Elle était chère aux taoïstes. Dans les contes indo-européens, l’ensemble des trois couleurs blanc, rouge, noir (quoique que le blanc et le noir ne soient pas des couleurs pour les scientifiques), est toujours symbolique, bien que l’on ne soit pas sûr du sens de ce symbole. Peut-être à cause des trois couleurs de la lune, symbole féminin par excellence dans la tradition indo-européenne (mais pas, par exemple, en Russie ni chez les amérindiens du Sud), blanche (premier quartier : vierge - Artémis), rouge (pleine : amour-passion - Aphrodite) et noire (nouvelle lune : mort - Hécate).

  • J’ai mis en italique quelques indications qui aident à la compréhension du texte plutôt que de multiplier les notes.

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