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Le blog d'Hélène Loup
26 juin 2020

NANOUNE - rancontée sur facebook le 26 juin 2020 à 18h et publié dans "Conter aux adolescents"

N A N O U N E

Récit de vie

H.L.

 

  • Mémé, qu’est-ce qu’elle a encore fait, Nanoune ?

C’est la question que je posais chaque semaine à ma grand-mère quand elle venait passer le dimanche chez nous.

  • Mémé, qu’est-ce qu’elle a encore fait, Nanoune ?

Et Mémé* avait toujours quelque chose à raconter.

 

  • Tu te souviens du nouveau chapeau de ta tante ?

Bien sûr, que je me souvenais ! Un champignon à tête noire et pied blanc, c’est à cela que ma tante m’avait fait penser sous cette demi-coupole de feutre noir renversée. Un champignon qui aurait eu une voilette noire. C’était la dernière mode du moment et tout le monde l’admirait. Nanoune avait donc très envie de l’essayer. Mais on avait fermement refusé et mis le beau chapeau à l’abri de ses petites mains de trois-quatre ans.

Nanoune n’avait pas le chapeau. Mais elle avait des idées. Elle se rendit à la cuisine. Il n’y avait personne. Elle ouvrit le placard du bas et trouva ce qu’elle cherchait : la bassine à friture. A l’époque, cet ustensile avait la forme d’une demi-coupole en métal épais noirci par la flamme, avec un panier de même forme à l’intérieur. Nanoune prit la bassine et la renversa sur sa tête. Le panier en fil de fer faisait la voilette. Puis, sans se soucier de l’huile qui dégouttait partout sur elle, autour d’elle et sur le parquet ciré, elle se rendit dans le bureau de son père.

  • Papa, regarde comme je suis belle !

  • Oui ! Oui ! Très belle ! marmonna mon oncle sans relever le nez de sa comptabilité.

Elle alla à la chambre de ses frères :

  • Les frères, regardez comme je suis belle !

  • Ouais ! Ouais ! Laisse-nous réviser le bac !

Elle descendit l’escalier de bois de la maison pour aller voir Mémé dont le logement occupait une partie du rez-de-chaussée. C’est alors que sa mère et sa sœur aînée rentrèrent. Elles poussèrent de grands cris et mirent dans la baignoire Nanoune, vêtements et chapeau compris. La bonne passa plusieurs jours la paille de fer au pied, à gratter le parquet pour en faire disparaître les tâches huileuses.

 

Ensuite, elle cira. Pour cela, elle frottait le parquet avec un « pain de cire », un cube de cire dure d’une dizaine de centimètres de côté. Puis elle lustrait avec un chiffon de laine et beaucoup d’huile de coude ou plutôt, de pied. Le « pain de cire » fascinait Nanoune. Elle aurait bien voulu le passer sur les marches, elle aussi. Mais, allait savoir pourquoi, la bonne ne voulait pas. Et quand elle eut fini, elle enferma soigneusement cire, brosse et chiffon hors d’atteinte.

Nanoune n’aurait pas le « pain de cire ». Mais elle avait des idées. Profitant d’un moment où tout le monde était occupé ailleurs, bonne comprise, elle retourna dans le cuisine, ouvrit le réfrigérateur et y pris un cube d’environ dix centimètres de côté, enveloppé de papier doré, sur lequel était écrit –mais Nanoune ne savait pas encore lire- Margarine ASTRA. Evidemment, c’était d’un jaune plus pâle que la cire foncée de la bonne, mais ça marchait quand même. Et Nanoune cira tout l’escalier à la margarine. Il paraît que, ce jour-là, mon oncle le descendit très vite et en perdant beaucoup de sa dignité. Quant à la pauvre bonne, elle dut recommencer le travail harassant qui consistait à laver, rincer, gratter, cirer et lustrer chaque marche.

 

Mais déjà, Nanoune s’intéressait à autre chose. Sa sœur aînée venait de faire sa communion solennelle. Durant la fête qui avait eu lieu ensuite, tout le monde l’avait complimentée sur sa longue robe de mousseline blanche brodée, comme on les portait alors, serrée à la taille par une large ceinture à gros nœud blanc, et sur son voile d’organdi transparent qui tombait jusqu’à ses pieds, cousu sur un petit bonnet qui lui emboîtait la tête comme le faisaient les béguins qu’on mettait alors aux bébés. Le lendemain, la fête était finie. La robe fut rangée dans une armoire fermée à clé et le bonnet avec son voile dans son carton posé tout en haut, sur l’armoire.

Nanoune n’aurait pas la jolie robe. Mais elle avait des idées. Elle poussa contre la haute armoire une petite table, posa sur la petite table une chaise, sur la chaise un tabouret, grimpa sur cet échafaudage improvisé et redescendit avec le bonnet posé sur sa tête, le léger voile s’épanouissant autour d’elle. Elle courut dans le bureau de son père.

  • Papa, regarde comme je suis belle !

  • Oui ! Oui ! Très belle ! marmotta mon oncle sans se détourner de sa comptabilité.

Elle se précipita chez ses frères.

  • Les frères, regardez comme je suis belle !

  • Ouais ! Ouais ! laisse-nous réviser le bac !

Elle descendit l’escalier pour aller voir Mémé.

  • Mémé, regarde comme je suis belle ! Je me suis déguisée.

  • Oui, ma petite Mimi ! Tu es sûrement très belle, répondit ma grand-mère qui n’y voyait plus depuis longtemps.

  • Mémé, on peut aller montrer mon déguisement aux poissons rouges ? On leur donnera à manger.

  • Bien sûr, ma petite Mimi, dit ma grand-mère en se levant de son fauteuil et en récupérant sa canne blanche posée près d’elle.

Nanoune s’approcha pour qu’elle puisse, comme d’habitude, poser la main sur son épaule afin de la guider. Elle était trop petite pour lui donner le bras. Sous ses doigts, ma grand-mère sentit le tissu léger qui recouvrait l’épaule de l’enfant. Prise d’un doute, elle lui tâta la tête et s’exclama :

  • C’est le bonnet et le voile de communion de ta sœur ! Tu risques de les abîmer ! Si ta mère te voit, elle va te gronder !

  • Je ne les abîme pas, Mémé. Je suis juste déguisée.

  • Bon ! Allons voir les poissons rouges. Cela nous fera du bien de nous promener dans le jardin, avec cette chaleur. Je vais te raconter une histoire, dit ma grand-mère.

Elle pensait : « Ainsi elle restera près de moi. Je pourrai veiller à ce qu’elle n’abîme pas le voile et empêcher qu’elle soit grondée. »

Comme elles cheminaient dans les sentiers bordés de buis taillés du grand jardin qui entourait la maison, l’une racontant, l’autre écoutant, Nanoune dit soudain :

  • Mémé, allons sur les allées, que tout le monde puisse voir comme je suis belle avec ce déguisement.

  • Si tu veux, ma petite Mimi.

Et les voilà marchant sur le large trottoir des grandes allées de la ville, planté d’une double rangée d’arbres, au milieu des passants qui allaient et venaient autour d’elles, tandis que des voitures passaient sur la chaussée. Malgré la chaleur accablante de l’après-midi, ma grand-mère se tenait, comme d’habitude, très droite et marchait d’un pas décidé dans son strict et triste tailleur noir trop long qui accentuait sa minceur. Un ruban noir lui enserrait le cou. Ses yeux étaient protégés par de petites lunettes rondes, ses cheveux gris roulés en un tout petit chignon bas.

Quand ma tante et ma cousine arrivèrent, elles s’écrièrent :

  • Mon Dieu, Mémé ! Nanoune !! Tu sais comment est Nanoune ???

  • Ah ! Ne la grondez pas, s’interposa aussitôt ma grand-mère. Elle n’a pas abîmé le voile ni le bonnet. Elle est tout le temps restée avec moi !

  • Mais ce n’est pas ça, Mémé !

  • C’est quoi, alors ?

  • C’est que, à part le voile et le bonnet, elle n’a rien d’autre sur elle !

 

NOTE :

 *Mémé : on ne disait pas encore Mamy, à l’américaine, comme on le fait en France depuis une quinzaine d’années. Dans mon sud-ouest natal, on disait Mémé, Mamé, Bonne-Maman, Grand-mère ou, plus rarement, Mamie. Ou encore, selon la fantaisie des petits-enfants, Lala, Mamita, …

  

Récit de vie concernant ma cousine Fanchon (dans le livre, je l’ai surnommée Nanoune) publié dans :

Conter aux adolescents, une merveilleuse aventure

Hélène Loup et Chantal Ferdinand

Edisud

Cet ouvrage, avec ce « récit de vie » (terme technique de spécialiste du conte, chercheurs et artistes) a été transmis à Fanchon récemment.

  

 Escalier ressemblant partiellement à celui de Saint-Cyprien …

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