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Le blog d'Hélène Loup
24 janvier 2012

SORCIERES ET FEES, DEUX PERSONNAGES AMBIVALENTS

LA SORCIERE ET LA FEE, DEUX PERSONNAGES A LA FOIS BONS

ET MAUVAIS

 

Par Hélène Loup, conteuse

 

Quand un conteur facétieux demande à quelqu’un, à brûle-pourpoint :

-         Quelle est la différence entre une fée et une sorcière ?

la personne interrogée répond d’abord du tac au tac :

-         Facile ! La sorcière est méchante, la fée est bonne.

Et le conteur taquin de dire :

-         Eh non ! Car cela dépend des cas. Ainsi, c’est une fée qui jette un mauvais sort à la petite princesse du conte « La Belle au Bois Dormant ». Charles Perrault (XVII° siècle) l’appelle « la vieille fée », les frères Grimm (XVIII°) « la treizième fée et, dans le ballet de Tchaïkovski (XIX°), on la nomme  « la Fée Carabosse ». C’est cette même Fée Carabosse que l’on retrouve d’ailleurs, toujours aussi méchante, dans le dernier couplet de la chanson enfantine « Dame Tartine ». De même, dans « Le conte du Roi Renaud » (« Contes du vieux-vieux temps » - Henri Pourrat) c’est la très belle fée de la fontaine qui impose à Renaud de choisir soit de « l’épouser sur l’heure », soit de « sécher sur pied pendant sept ans », soit de mourir « cette nuit, sur la minuit ». Et comme Renaud, très épris de sa jeune femme, répond imprudemment qu’il « aimerait mieux mourir sur l’heure »,  il mourra en effet, « sur la minuit », des suites d’une blessure faite en tombant de cheval.

  En revanche, une sorcière peut se montrer bonne. Ainsi, c’est une sorcière maligne qui aide le roi à conquérir la belle et sage Zalgoum qui se cache dans une grotte par crainte de son frère qui veut l’épouser (« Zalgoum » -   Tellem chaho ! Contes berbères de Kabylie – Mouloud Mammeri). Et, en Italie, c’est une « stria » (une sorcière), la Befana, qui porte traditionnellement les cadeaux aux enfants la nuit de l’Epiphanie.

  Mais surtout, les fées comme les sorcières sont des personnages qui ont des pouvoirs et qui s’en servent à leur guise. Elles peuvent changer le destin des pauvres humains que nous sommes en bien comme en mal. Tout dépend de leur humeur. Tant mieux pour qui leur plait. Tant pis pour qui leur déplait. La « Dame Holle » des contes de Grimm et sa consœur, la fée du conte « Les Fées » de Perrault, se montrent bénéfiques avec la fille aimable, et maléfiques envers celle qui ne l’est pas. L’auteur de contes modernes, Pierre Gripari, s’est amusé dans « La fée du robinet » (« Les contes de la rue Brocca »), à parodier le conte de Perrault en inversant tout : la fée donne le bon don (cracher des perles en parlant) à la mauvaise fille, le mauvais (cracher des serpents en parlant) à la bonne. Mais la morale y trouve quand même son compte car le bon don fera le malheur de la mauvaise fille, et le mauvais don le bonheur de la bonne. Dans la mythologie grecque, la magicienne Médée aide Jason à conquérir la toison d’or et à rajeunir son père Aeson. Mais quand Jason se détourne d’elle, elle se transforme en furie, tue ses enfants et s’enfuit dans un char conduit par des dragons ailés. Quant à la sorcière populaire russe, Baba Yaga, elle est généralement dangereuse, mais elle peut aussi se montrer bénéfique pour qui sait se la rendre favorable.

  Enfin certaines fées changent au fil du temps. Ainsi, les « dames noires » (certaines dévoraient des enfants) et les « dames rouges » (qui aimaient à mort leurs amants) seraient  des « dames blanches » (personnages bénéfiques dans les anciens récits) qui auraient mal tourné. Au contraire les Gianes de Sardaigne qui, autrefois se repaissaient, disait-on, de sang et de plaisirs, se sont peu à peu adoucies jusqu’à devenir de gentilles fées, bonnes épouses et mères attentionnées.

 

La personne interrogée répond alors :

-         Les fées sont belles, les sorcières laides.

Mais ce n’est pas encore la bonne réponse. La belle-mère de Blanche-Neige  (Grimm) est très belle, et Dame Holle, avec ses grandes dents, très laide. En outre la beauté des fées aussi est changeante. Autrefois, Dame Holle était d’une grande beauté, altière et divine.

 

  La différence entre fées et sorcières n’est pas non plus dans la façon de se vêtir. Les unes comme les autres peuvent être habillées splendidement ou recouvertes de haillons, tout en noir ou plaisantes et bien proprettes. Certaines même sont nues ou quasi nues. Quant au chapeau noir pointu dont on affuble les sorcières à notre époque, il ne date que de quelques décennies et nous vient des USA. En Europe, ce couvre-chef était plutôt celui des médecins. Quant aux fées de ma jeunesse, elles étaient souvent aussi pourvues de chapeaux pointus. Mais c’étaient des hennins, semblables à ceux apparus au XV° siècle en Bavière.

   La baguette n’est pas davantage un attribut spécifique des fées. Jusqu’au XIX° siècle, les « belles dames » n’en utilisaient guère. Et dans le long conte de Grimm « Les frères », la sorcière qui change hommes et bêtes en statues de pierre se sert d’une baguette. C’est aussi ce dont se sert Circé (« L’Odyssée ») pour changer les compagnons d’Ulysse en pourceaux. Et ni les lecteurs ni les spectateurs de Harry Potter ne se sont étonnés de voir les sorciers imaginés par la romancière moderne, J.K. Rowling utiliser des baguettes. Celles-ci se sont d’ailleurs singulièrement perfectionnées depuis les baguettes de la sorcière et de Circé, et même celles des fées de nos représentations actuelles.

 

   Les unes et les autres peuvent habiter de magnifiques demeures, de petites chaumières ou des grottes. Mais dans des lieux insolites comme l’eau, l’arbre ou les fleurs, on ne trouve guère que les fées. Et ceci est un indice. Seuls, en effet, des personnages du monde de « faërie » (ou « féerie » dès le XII° siècle) peuvent habiter là, pas les humains. Les fées sont des êtres d’un autre monde. Et si ces deux mondes se côtoient, se confondent parfois un instant, ils sont cependant radicalement différents. Le temps, par exemple, ne s’y écoule pas de la même manière, et gare à qui s’attarde quelques jours dans les délices de faërie. Il ne retrouvera plus les siens à son retour. Trop de temps aura passé.

  Les sorcières sont des femmes qui pratiquent la magie. Cette magie est dite noire quand elle est maléfique, blanche quand elle est bénéfique. A l’époque où il n’y avait pas de médecins, c’était les femmes qui soignaient. Ainsi Yseut soigna Tristan. Et dans les cas graves, les gens du peuple allait voir les sorcières. Elles utilisaient beaucoup les plantes, dont on sait qu’elles furent et sont encore très utiles comme médications. Et elles faisaient des « incantations ». Autrement dit, elles faisaient appel aux pouvoirs de quelque personnage de l’autre monde. Ainsi Médée invoquait Hécate, une déesse mystérieuse qui paraît avoir été liée aux Ombres et à la nuit. Mais l’Eglise (catholique en France, protestante dans d’autres pays), pour ne citer qu’elle, n’a pas apprécié cette concurrence. Au XV° siècle ont commencé des persécutions pour éradiquer les sorcières, persécutions qui ont été particulièrement violentes et organisées au XVI° siècle et jusqu’au XVII°. C’est à cette époque que l’on a considéré les sorcières et les sorciers comme tenant leurs pouvoirs du diable. Et cette image est restée, avec celle des sabbats, et celle, terrible, des bûchers. Ainsi, dans le petit conte de Grimm intitulé « Dame Trude » (Trude est le nom de la sorcière en allemand), il est dit que Dame Trude fait des choses « mauvaises et impies », c’est-à-dire contraires à la religion, et elle apparaît comme « le diable en personne avec une tête de feu ». Quant aux fées, on a peu à peu confondu puis remplacé les plus révérées d’entre elles, avec et par des saints, des anges, ou même Dieu et Marie, et le culte païen, par des rituels en accord avec la religion chrétienne. C’est là un schéma habituel de remplacement d’une religion par une autre. Quand ce changement de personnage se produisait à l’intérieur même d’un conte, ce conte pouvait en être transformé. Ainsi, dans le conte de Grimm « L’enfant de Marie », la succession d’épreuves subies par la reine n’a pour but que de lui faire enfin avouer la vérité, à savoir qu’elle avait ouvert, malgré l’interdiction formelle de la Vierge Marie, la porte de la treizième chambre. Mais dans « La grande Fade » (fade signifie fée en occitan) de mon enfance qui conte la même histoire mais avec une fée, la succession d’épreuves a pour but de vérifier si la jeune reine initiée saura se taire et garder les secrets révélés et découverts lors de son initiation quoiqu’il lui en coûte.

  Pourtant, là encore, on trouve des exceptions, assez rares, mais incontournables. Dans le « Roman de la Table Ronde », Morgane et Viviane sont des femmes initiées par l’enchanteur Merlin et qui finissent par devenir des fées à force de « féer » (faire comme les fées). D’ailleurs Morgane vit à Avalon, lieu légendaire, et le château de la fée Viviane se trouve dans un lac. Et c’est parce que Lancelot, le chevalier le plus célèbre de la cour du roi Arthur a été élevé là qu’il sera nommé Lancelot du Lac. De même, mais d’une autre façon, la sorcière populaire russe Baba Yaga, est à la frontière des deux mondes, celui des humains et celui de « faërie ». Elle est la sœur de la marâtre de « Vassilissa la belle » (« Contes russes » - Afanassiev), elle a forme humaine, habite une chaumière au cœur de la forêt et utilise ses ustensiles ménagers pour pratiquer sa magie. Mais dans le « mortier elle voyage, du pilon elle l’encourage, du balai efface la trace » (« Contes russes » - Luda). Sa chaumine, montée sur des pattes de poulets, tourne et retourne sur elle-même et obéit quand on lui demande de se tourner du bon côté. Et, dans « Vassilissa la belle », les yeux des crânes plantés sur les tibias qui constituent la barrière s’allument et éclairent la nuit.

  Ainsi certains personnages participent des deux mondes, celui des esprits et celui des hommes. Merlin était fils à la fois d’un esprit mauvais et d’une femme. Les « héros » grecs, Héraclès (Hercule pour les Romains), Achille, Jason, Thésée, sans oublier « la belle Hélène », et beaucoup d’autres, étaient, par définition, né(e)s d’un dieu ou d’une déesse (ou d’une nymphe), et d’une femme ou d’un homme. Et que dire des Pharaons ou des Empereurs de Chine déclarés dieux sur terre…

  D’autres passent d’un monde dans l’autre : après sa mort, Ino devient la nymphe marine grecque, Leucothée. Les enfants sacrifiés par les Incas devenaient des dieux. Certains chrétiens considéraient qu’un jeune enfant mort devenait un ange. Et des personnages divins s’incarnent.

 

  Certes, dieux et déesses ne sont pas des fées ni des sorcier(e)s. Mais nombre de nos personnages du monde de faërie sont issus de très anciens personnages mythologiques, c’est-à-dire des anciennes religions et croyances. D’ailleurs, en Europe, les mots mêmes de fée et de sorcier(e) ont une étymologie latine : fata (ou fatum = prédiction - destin) et sors. Pour les Romains, les « tria Fata », autrement dit les « trois fées » ou les « trois destinées », étaient les trois Parques, les divinités du Destin. Elles étaient identifiées aux « Moires » grecques dont la première filait le fil de la vie de chaque être humain, la deuxième enroulait le fil, la troisième le coupait. Nul, même les dieux, ne pouvaient changer le destin. Les « fata » n’étaient donc pas humaines, mais faisaient partie d’un autre monde.

  Le mot « sors » désignait, chez les Latins, l’objet (caillou, tablette, baguette, lamelle) portant une inscription, que l’on mettait dans une urne pour tirer au sort, ou répondre aux questions posées à des oracles (=divinations, prédictions). Puis, par extension, ce mot en est venu à signifier : sort, destin. Il s’agit toujours de destinée. Mais ici, ce sont des êtres humains qui y président. D’où le mot latin « sorciara » (diseur de sort), qui en est venu à signifier : donneur de sort. Et, de fait, nos sorcières (mot apparu en France dès le XII° siècle) et sorciers (XIII°) possèdent souvent le don de divination, comme la Taufpatin de « Raiponce » qui sait que l’enfant à venir sera une fille. Et on constate que pour désigner le personnage qui a pour fonction d’être le médiateur d’un groupe  entre le monde de la « surnature » et le monde des hommes, on utilise le mot sorcier(e), ou chamane en Sibérie. Pas le mot fée.

  L’origine des fées et personnages du monde surnaturel est plus complexe et a fait l’objet de diverses recherches et controverses. De façon générale, il paraît que les trois « fata » ont été rapidement amalgamées aux divinités champêtres gréco-latines, naïades, hamadryades, sylvains, fatuae et fatuis (enfants de Faunus ou Faune, surnommé Fatuus, et de Fauna, surnommée Fatua) et autres nymphes et satyres, auxquelles se sont semble-t-il combinées les « Matres » (déesses mères) gauloises, et divers personnages issus de la mythologie nordique comme certains elfes blancs, sans oublier quelques revenants et autres êtres d’une nature non terrestre mais très voisine.

 

  Mais ce qui est sûr, c’est que, au contraire du mot sorcière, le mot fée n’a pas de masculin. Voilà qui devrait intéresser les psychanalystes. Mais ceci est une autre histoire.

 

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